Idaho
Levitate
Sixième album et voici bientôt dix ans depuis la sortie du premier 7’’ pour Idaho. « Levitate » est leur second lp à sortir en autoproduction sur leur propre label Idahomusic.
Très belle carrière sans faux-pas pour le groupe San Francisco, l’un des chantres du slowcore aux côté des Red House Painters, de Mazzy Star, Swell, Spain ou les Radar Brothers. Sans doute également le seul qui ait gardé intactes toute sa verve et toute sa sensibilité.
Même s’il n’a jamais eu droit à une distribution et à un accueil médiatique pourtant largement mérité, Idaho a su développer une carrière et une discographie qu’on ne peut que trouver exemplaires dans le monde indépendant, où la plupart des carrières sont brèves. A son sixième album, Idaho garde tout son sel et ça c’est suffisamment rare pour être signalé.
« Levitate » poursuit la voie largement entamée par le reste de la discographie, poussant un peu plus loin ce souci d’être aérien, sincère, gracieux et esthétique dans l’expression d’une mélancolie profonde et tenace.
La nouveauté sur ce disque consiste à faire autant, voire plus avec moins, moins de sons, moins d’instruments et la révélation de subtilités masquées et fragiles au grand jour. On retrouve donc un Idaho à l’effectif quasi réduit, mis à part une batterie discrète et économe. Jeff Martin a ainsi composé l’intégralité de « Levitate », jouant guitare, basse, clavier, piano et voix. Seule la batterie pure et parfaite présente sur une partie des morceaux a été jouée par un musicien extérieur. Un certain Alex Klimmel étudiant en académie de musique et fan hardcore d’Idaho qui avait envoyé des bandes à Jeff Martin lui proposant ses service.
Ce disque est peut-être également le plus introverti, le plus serein et le plus révélateur sur Jeff Martin. Tout baigne ici dans une mélancolie tranquille, intime et chaleureuse. Jamais Idaho ne sonne renfermé ou malsain, la tristesse est toujours sereine et apaisante. Il y a beaucoup de pudeur ici. Le climat est poignant, sincère et humble et les larmes servent à évacuer la douleur aucunement à un quelconque apitoiement.
La musique cinématique d’Idaho, ses mélodies ombragées et ses espaces accueillants et séduisants restent la promesse continue de lendemains meilleurs et c’est ce qui la rend précieuse et attachante. C’est la b.o. d’un vague à l’âme léger et profond à la fois, agréable, qui laisse un espace large d’interprétation personnelle.
Une des grandes nouveauté de ce disque est la place importante jouée par le piano qui amène une touche qui n’est pas sans rappeler celle de Mark Hollis ou du Blue Nile. « Levitate » est bon et envoûtant comme tout album d’Idaho, il est simplement moins rock et plus accès songwriting, mais l’essence et les mélodies restent les mêmes.
Pas de doute dès les premières secondes de « Wondering The Fields », la guitare au son reconnaissable entre toutes et le chant lascif, envoûtant et mélancolique : il s’agit bien d’Idaho. Les mêmes montées au ciel quelques secondes plus tard avec une économie de son nouvelle et une subtilité maximale qui laissent à jamais quelque poursuivant que ce soit loin derrière.
Suit un « 20 years » classique qui aurait pu être une des meilleurs plages du premier album. Quatres minutes sous un soleil noir que l’on déchire peu à peu comme un voile de poussières qui nous masquait la réalité. Le souvenir d’instants intenses et tellement fugaces qu’ils disparaissaient au moment où on en prenait conscience.
« For Granted » est la première composition à marquer l’évolution et la différence. Une plage beaucoup plus liée au chant qu’avant, un rythme continu qui sert de fil conducteur et sur lequel la voix s’appuie manquant presque de la faire céder sous le poids d’un spleen tenace. La tristesse est tangible, mais en rien liée à une simple nostalgie plutôt à l’envie de ne pas défaillir et rester réceptif à une certaine vision forte et sensible de ce qui nous arrive.
Le soleil pétille le long du littoral en notes de piano sublimes. Un « On The Shore » qui respire le bonheur et l’émotion. On reste béats et immobiles, plein de lumière et de visions heureuses, éthérées et paradisiaques dans les yeux, éblouis, pour un accomplissement qui n’est pas sans rappeler les meilleurs moments de Gloria Record.
On a droit alors à un « Levitate Pt2 », expérimentation en guise de respiration sur l’album. Mise bout à bout, collage, collection d’instants de grâce privilégiés qui ne se sont pas laissés polir et glisser dans une morceau.
Suit un « Santa Claus Is Weird » en totale apesanteur, avec des lyrics d’une beauté et un chant d’une candeur dignes de celles de Christopher Simpson (Gloria Record, Mineral). Idaho atteint là un de ses pics himalayens d’une grâce inégalable ; il faut tendre l’oreille pour entendre un chœur féminin ultra discret et quand, à la fin, on entend les chants d’oiseaux, plus de doute on est au paradis.
« Orange » quant à lui rappelle The Album Leaf et Durutti Column, dynamique de la perte d’équilibre, mélodie dans le vide, glow organique sur lequel vient se poser délicatement un chant tourmenté.
Jeff Martin se laisse à jouer simplement du piano sur « come back home » et le recouvre d’une rock song mélodique typique, aux guitares toujours enivrantes, et qui déconnecte comme peuvent le faire celles de The Good Life.
Simple piano voix alors, « Casa Mia » comme la mer que l’on entend murmurer dans un coquillage porté à l’oreille. Secondes de recueillement nocturnes, face à la ville apaisée et endormie.
Le passage du cycle se termine alors avec la plage éponyme, condensé de rêves et de méditations planantes, aux couleurs foncées de la nuit qui tombe, du soleil qui s’évanouit.
Chef-d’œuvre, futur classique déjà culte.
Et je me rappelle en 1994, couché sur mon lit, écoutant songeur et déprimé le « Palms ep » d’Idaho. Dieu que la vie est belle ce soir.
Didier
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